Les mercredis et le gouvernement

Deux personnes, sans se consulter, ont récemment enrichi ma culture citoyenne en m’apprenant qu’au gouvernement du Québec, les réunions du conseil exécutif (aussi appelé conseil des ministres) se tiennent habituellement le mercredi. Ce fait ne m’aurait peut-être pas frappé si je n’avais eu à la mémoire le souvenir tout frais du dernier livre de Pierre B. Berthelot, Duplessis est encore en vie1. Ce livre, écrit avec le désir de corriger un parti pris d’hostilité général à l’endroit de Maurice Duplessis, ne cherche pas à dorer la pilule ni à être complaisant, loin de là, mais il rend justice à l’ancien premier ministre du Québec simplement en ne tordant pas l’histoire. Celui qu’une certaine littérature désigne volontiers comme une figure centrale de ce qu’elle appelle la Grande Noirceur2 m’y est apparu sous un jour plutôt lumineux. Paru il y a quelques mois, j’y avais lu ce passage :

Sous [l’influence du frère André], Maurice développe une dévotion personnelle pour saint Joseph – une chose qu’il prendra très au sérieux tout au long de sa vie. En l’honneur du saint, dont le jour de la semaine dans le calendrier chrétien est le mercredi, Maurice réserve toutes ses futures décisions importantes au mercredi (par exemple, l’adoption du drapeau fleurdelisé se fera le 21 janvier 1948; un mercredi).1

Je me suis demandé si le choix du mercredi pour les réunions du conseil exécutif résultait d’une tradition qui aurait été instituée par Duplessis. Son estime pour saint Joseph et sa prédilection pour le mercredi qui lui est consacré sont attestées par plusieurs sources. Alors qu’il était député de l’Opposition, « il assistait à la messe à la crypte [de l’oratoire Saint-Joseph] tous les mercredis ».3 Devenu premier ministre, il « se rendait tous les mercredis prier saint Joseph à la basilique Notre-Dame à Québec ».4 Plus près de notre propos, Alexandre Dumas, journaliste canadien, rapporte que :

Le père Émile Deguire, supérieur de l’oratoire Saint-Joseph, remercie Duplessis de toujours ouvrir la session le mercredi sous le patronage de Saint-Joseph, malgré les railleries que cela lui attire.5

Outre l’exemple du drapeau fleurdelisé cité plus haut, il programmait notamment des élections le mercredi6

Le règlement de l’Assemblée nationale entré en vigueur en 1984 prévoit qu’une période soit réservée le mercredi pour permettre aux députés de l’Opposition de présenter une motion sur un projet de loi, et aux députés ministériels de leur répondre. Cette disposition expliquerait la tenue des réunions du conseil exécutif le mercredi, sans toutefois confirmer ni infirmer si cette tradition s’inspire des initiatives de Maurice Duplessis.

On notera par ailleurs que le conseil des ministres de la République française tient aussi, traditionnellement, ses réunions le mercredi. Parions que ce choix n’a rien à voir avec saint Joseph… Cependant, notre assemblée législative a emprunté son nom à celle de France. Le premier ministre Jean-Jacques Bertrand, de l’Union nationale, l’a officiellement nommée « Assemblée nationale » en 1968, seulement neuf ans après la mort de Duplessis. Le règlement de 1984 a-t-il simplement calqué certaines habitudes françaises, ou officialisé une tradition remontant à Duplessis? Rien ne nous permet de trancher la question.

Quoi qu’il en soit, le fait que Duplessis ait tenu toutes ses réunions importantes (pas seulement les réunions du conseil) le mercredi à cause de saint Joseph, mis en relation avec la tradition actuelle des réunions du conseil exécutif les mercredis – objectivement le jour de saint Joseph, que ce soit voulu ou non –, exprime clairement l’étroit rapport de gouvernance qui unit un pays et son patron.

1 Pierre B. BERTHELOT, Duplessis est encore en vie, Septentrion, 2021, p. 105.

2La Grande Noirceur est une métaphore utilisée au Québec pour décrire péjorativement le second mandat du premier ministre Maurice Duplessis qui s’échelonne sur quatre législatures de 1944 à 1959. À la manière d’un « âge sombre », l’expression lie figurativement l’héritage de Duplessis à un obscurantisme du Moyen Âge. […] Au cours des années 1950, plusieurs théoriciens québécois des sciences sociales et personnalités publiques dénoncent le « retard » du Québec francophone par rapport aux autres sociétés nord-américaines. Ce « retard » est principalement attribué à la réticence du gouvernement Maurice Duplessis à mettre en place des programmes gouvernementaux digne [sic] d’un État providence. (Wikipédia)

3 Micheline LACHANCE, Le frère André, Éditions de l’homme, 2010, p. 327.

4 Maurice Duplessis, Dictionnaire biographique du Canada

5 Alexandre DUMAS, L’Église et la politique québécoise, de Taschereau à Duplessis, Mcgill-Queen’s Press – MQUP, 2019, p. 219.

6 https://www.erudit.org/fr/revues/haf/2019-v73-n1-2-haf05240/1068804ar/