La Sainte Famille à l’oiseau

Je m’intéresse depuis peu à l’art de la peinture. Je ne m’y serais probablement pas arrêté si ce n’avait été de photos de peintures accompagnées de commentaires de spécialistes publiées tous les mois dans Magnificat. J’y découvre un monde de méditations et un outil de soutien à la prière qui ne m’était pas familier, et qui me sort du mode scripturaire. J’ai été particulièrement captivé par le numéro de décembre dernier (#337), qui publiait un magnifique spécimen de la peinture espagnole, La Sainte Famille à l’oiseau (1650), avec le commentaire non moins captivant de Sophie Mouquin*, collaboratrice régulière de cette publication.

Mon inculture artistique ne me permet pas de disserter sur l’oeuvre. Je me contenterai donc de proposer un commentaire de contemplateur, appuyé sur l’expertise de Mme Mouquin, en y adjoignant mes propres impressions.

Conservé au musée du Prado à Madrid, ce tableau de Bartolomé Estéban Murillo (1618-1682) livre une représentation originale et attendrissante de la Sainte Famille, en particulier de Joseph. Celle-ci apparaît dans une charmante simplicité et un réalisme qui se veut presque photographique.

Pas d’idéalisme religieux : ce pourrait être n’importe quelle famille, du fait que beaucoup pourraient se reconnaître dans le caractère commun de la scène. Un père jouant avec son enfant, celui-ci qui s’amuse – sourire espiègle aux lèvres – de l’attrait d’un oiseau pour un petit chien, une mère attentive et méditative.

Le père et l’enfant occupent à dessein le centre de la composition, éclairé par une lumière venue de la gauche. Il s’agit bien du charpentier de Nazareth : le rabot et la scie déposés sur son établi en témoignent. Il est rare de voir Joseph ainsi représenté : au lieu du quasi grand-père qui flanque la jeune Marie comme dans la majorité des représentations de la Sainte Famille, Murillo a peint un Joseph dans la force de l’âge, de la même génération que son épouse, avec des traits un peu hispaniques – concédons cette touche locale au peintre!

Joseph assume ici un rôle actif : il a délaissé un moment son travail pour participer au jeu taquin de son fils, spontanément et gratuitement. Marie, bien qu’elle s’occupe au filage, semble tournée vers l’intérieur et « méditer ces événements en son coeur » (Lc 2, 19), en bonne gardienne du trésor mystique du moment. Rien de compliqué, simplement la vraie vie.

La scène a le mérite de proposer une image concrète, ancrée dans le quotidien. Ici l’enfant Jésus se fait vraiment chair, il habite réellement parmi nous, il fait siens nos jeux mêmes. Elle a aussi le mérite de montrer Joseph sous un jour qui valorise son rôle dans le plan de Dieu. L’existence matérielle de son enfant a supposé qu’il prenne en charge certains pans de sa vie : sans montrer de richesse, le tableau transpire la sécurité matérielle et financière; entre les bras de Joseph, nous sentons Jésus à l’abri du danger; malgré sa jeunesse, nous devinons que bientôt il sera initié au métier de son père.

En contemplant Joseph, je me suis senti attiré et participant de la proximité des personnages. Et si ma relation personnelle avec eux pouvait être aussi simple et concrète? En la personne de Joseph, c’est aussi un peu moi, un peu nous qui avons à « prendre en charge » la venue de Jésus, quotidiennement, à tous les âges de la vie.

* Sophie Mouquin est maître de conférence en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.